Le récit de l'ascension que je vous raconte, est le fruit de notes personnelles prises sur le vif il y a maintenant plus de 41 années , sans que mes trois compagnons de cordée ne s'en rendent compte un seul instant. Ce "carnet de voyage" est resté trop longtemps au fond d'un tiroir. Ce genre d'ascension, à l'époque, en 1983, mérite que l'on s'y attarde un peu...
En 1975, Yvon Chouinard et Mike Covington, suivi en Décembre 1979 de David Belden et Christine de colombel, avaient gravi ces deux couloirs, les gravir dans leurs pas Quatre années plus tard, avait un sens pour nous tous.
A cette époque le matériel d'alpinisme n'était pas celui d'aujourd'hui et il fallait un minimum de maîtrise des techniques de cramponnage et d'engagement personnel pour s'attaquer à ce genre d'itinéraire en altitude.
En 1982, il était né dans l'esprit d'un montagnard "discret", Georges REGERAT, d'entreprendre l'ascension du mont-Kenya, en empruntant deux itinéraires de grande difficulté, le WINDOW et le DIAMOND couloir.
Suite à notre rencontre, lors de la demande d'affiliation du GAME (Groupe Alpinisme Montagne Escalade), de Châteauroux, dont j'étais le Président fondateur, auprès du comité régional AUVERGNE de la FFM ( Georges en était le Président), il me proposa de faire partie de son équipe, ce que j'ai accepté avec beaucoup de bonheur et de fierté.
Cette expédition a été agrée par la Fédération Française de la Montagne (Fédération de l'époque) et a fait l'objet d'un compte rendu au Comité de l'Himalaya à L'ENSA à CHAMONIX, la même année, en octobre 1983.
L'ascension de ces deux couloirs glaciaires a exigé beaucoup de lucidité, treize jours de "combat", contre les éléments, et au bout, la merveilleuse impression d'avoir participé à une Aventure hors du commun. Nous la devons à GEORGES!
* Cette Aventure a reçu le premier prix "Grand prix du festival du film de montagne de Chaudes-Aigues, le 3 octobre 1987", ainsi que le prix de l'Aventure et celui de l'originalité.
** Diaporama Mt-Kénya et Kilimanjaro présenté à la FIAC paris pour la SFO-1994.
* Kirinyaga, est le nom que portait le mont Kenya, lorsque c'était la montagne sacrée où siégeait Ngai, le dieu des Kikuyus.
Au moment où j'écris cette chronique, les couloirs Window et Diamond, ne sont peut-être plus "facilement" réalisables. Aux dernières nouvelles, rapportées par des alpinistes en Août 2005, le Window aurait complètement disparu, pour faire place à un itinéraire dans une roche délitée et peu sûre (qui sait, peut-être une première?). Quand au Diamond, les deux premières longueurs en glace, lui manque cruellement! Dix années plus tard, en Février 1993, en accompagnant un trekking sur le tour du Mont-Kenya, j'ai pu en faire le triste constat.
Cette chronique relate l'ascension heure par heure et plus particulièrement l'ascension du ice Window, effectué avec mon compagnon de cordée, Claude GILLONIER.
Après avoir fait le tour du massif et quelques escalades sur le Mont-KENYA, ce matin nous montons au camp des américains, situé à environ 400 m en dessous du DARWING Glacier. Le temps commence à changer, les nuages s'installent et s'immobilisent à intervalles réguliers sur le Batian, comme à l'accoutumée. Sur la porte des brumes, entre le Batian et le Nélion. Nous évoluons dans un amas de blocs instables et passons devant une plaque commémorative de la mort d'un alpiniste Anglais. Après la lecture de l'épitaphe, nous reprenons notre progression vers le fameux bivouac. Bivouac sommairement aménagé par les grimpeurs du Club Alpin Kenyan, sous cette fameuse pierre tombée de la Pointe JOHN. La météo s'est détériorée, il neige! Nous nous regardons et je comprend tout de suite que chacun se pose des questions quant à la suite des évènements. Cela fais maintenant plus d'une heure qu'il neige sans discontinuer et devant la couche accumulée à la base des couloirs, nous prenons d'un commun accord, la décision de repousser l'ascension du Window à plus tard. Nous étions venu pour le faire tous les quatre!
9 Août, 8h00, en pointant mon nez hors de la tente, je me rend compte avec un plaisir non dissimulé, que le temps est au beau-fixe. A cet instant, il faut prendre une décision! Il n'est plus possible pour nous quatre de repousser l'échéance, en effet, le nombre de jours octroyés à notre expédition par le Park est compté. Après une concertation, nous prenons la décision unanime que claude et moi, feront le couloir Window, tandis que Marc et Georges, le Diamond. Cette solution nous paraît raisonnable, partant du principe que nous sommes venus ici, faire l'ascension des deux couloirs. Une cordée de deux est plus rapide qu'une de trois dans le Diamond, car Claude n' est pas d'accord pour faire le Diamond.Je le précéderai donc, dans le Window.
14 h00, la météo est stable, cela fait deux heures que nous montons et nous arrivons au bivouac. Nous sommes à l'altitude de 4600 mètres. Nous passerons l'après midi à observer les deux couloirs et devant leur verticalité, nous nous disons que la neige tombée la veille et dans la nuit, n'a pas tenue. Ils devraient êtres en parfaites conditions pour demain.
Il est 20h30, nous nous glissons dans nos duvets respectifs, le marchant de sable devrait bientôt passer... 22h35, chacun cherche le sommeil, tant bien que mal, en pensant à l'ascension de demain.
Soudain, un fracas infernal déchire le silence de la nuit et nous fait nous recroqueviller au plus profond de nos duvets, nous sommes pétrifiés! Une partie de la pointe JOHN, vient de s'effondrer, entraînant d'énormes blocs de rochers qui viennent s'éclater à plusieurs centaines de mètres de notre bivouac. je crois qu'une grande angoisse, nous a tous traversée l'esprit. Le fracas n'en finissait pas, les secondes passées m'ont semblé une éternité.
Dans ces moments là, même le silence revenu, il est difficile de retrouver un sommeil réparateur.
5h00, il fait très froid, la montre de Georges sonne et nous fait savoir qu'il est grand temps de nous lever. Georges sort de son duvet et devant la nuit qui n'en finit pas, il se replonge au creux de son duvet et programme sa montre pour 30 minutes de sommeil supplémentaire. 5h 40, cette fois, nous nous levons tous les quatre et préparons un petit déjeuner copieux.
Il est presque 6h00 et nous sommes en train de déjeuner, quand Marc, regardant dans la direction du Darwin Glacier aperçois deux alpinistes au pied du glacier. Plus tard nous nous apercevrons que ces deux alpinistes sont en fait, les deux alpinistes Catalans, que nous avons croisé au sommet de la pointe PETER, trois jours plus tôt. A cet instant, nous ignorons l'itinéraire qu'il veulent gravir, et c'est le branle bas de combat au bivouac. Maintenant, il faut partir très vite, il n'est pas question de lambiner, il faut se préparer le plus rapidement possible afin de les précéder dans les couloirs. Le danger pour nous, serait de les avoir au dessus de nos têtes et de recevoir les "parpings" de glace qu'ils déclencherons éventuellement.
Marc part seul et arpente à grandes enjambées le DARWIN glacier, dans l'intention de monopoliser le départ du Diamond. Georges lui emboîte le pas quelques minutes plus tard et fini par le rejoindre.
Claude et moi emboîtons le pas à Georges et arpentons à notre tour, le Darwin glacier en direction du départ du couloir WINDOW. Je ne me fais pas trop de souci, à l'allure où je marche et en suivant la trajectoire directe que j'ai choisi, je devrais leur passer devant assez rapidement. Après environ deux longueurs, je suis devant eux et nous ne les reverrons plus, car apparemment moins rapide que notre cordée. Claude et moi sommes prêts. Je propose à Claude de gravir les dernières longueurs sur le Darwin glacier, les anneaux à la main. Après quatre longueurs, nous voici au pied de la goulotte, bien décidé à la gravir jusqu'au sommet du Batian. Un rapide coup d’œil sur notre matériel et me voilà parti dans la première longueur. Je gravi un éperon rocheux recouvert de glace et plâtré par la neige tombée la veille, puis 30 mètres d'escalade sur un terrain mixte, j'arrive en bout de corde et pose mon premier relais sur un béquet, à l'aide d'une sangle que je place dessus. Claude me rejoint. Je peux entamer la deuxième longueur en glace, d'une inclinaison d'environ 50°. Ces trente mètres avalés sans difficulté, je pose un deuxième relais sur deux broches "à frapper" accouplées à un piton posé dans une fissure, dans le rocher sur ma droite. Claude me rejoint au relais et c'est maintenant que les choses sérieuses commencent.
Devant nous, le premier passage sérieux en glace vive. Je l'estime à environ de 50 à 55°, sur une petite longueur d'environ 20 mètres. Puis viennent les six prochaines longueurs, où notre progression se fera, longueur après longueurs, sur une glace dure et compacte, d'une inclinaison d'environ 45 à 55°, avec des ressauts courts à 60°. La glace est merveilleusement bleutée et je prends un grand plaisir à progresser régulièrement sur ce ruban de glace entre deux parois rocheuses, relativement proches l'une de l'autre et ce jusqu'au passage "clé" de cette ascension. nous faisons un relais sur deux broches, juste en dessous d'un mur de glace, presque vertical. Ce passage obligatoire, d'une hauteur d'une quinzaine de mètres est redressé devant moi, à environ 70 à 75°. Ce mur de glace raide escaladé me permet maintenant d'accéder sur la droite du fameux HEAD WALL et de passer littéralement sous le glacier suspendu du Diamond Glacier. Je débouche dans une grotte de glace fantasmagorique, où le soleil, baignant de sa lumière la glace translucide et bleutée, offre à mes yeux émerveillés, une multitude de nuances de couleurs.
La chute de stalactites du HEAD WALL est vraiment impressionnante et dépasse tout ce que j'ai pu lire sur ce lieu décrit comme un endroit féérique. J'ai devant moi d'énormes colonnes et des tonnes d'eau gelées, qui sont suspendues dans un équilibre précaire, au dessus de nos têtes, prêtes à tomber à la moindre vibration et quand bon leurs semble.
A cet instant, je prends conscience de ce que Georges et Marc ont au dessus de leurs têtes. Ce n'est vraiment pas le moment pour moi de détacher un morceau de glace, qui leur serait certainement fatal, deux cent mètres plus bas. claude me rejoint et me fait partager son émerveillement devant ce lieu si insolite et si mystérieux. Nous profitons de cet instant privilégié pour chercher au fond de nos sacs, quelques en-cas, et je m'aperçois avec stupéfaction, que dans notre "affolement", ce matin au bivouac, j'ai non seulement oublié ma gourde, mais aussi mon duvet, et comble de bêtise, Claude aussi.
nous n'aurons donc, en tout et pour tout, seulement quatre barres de céréales chacun et un petit paquet de biscuits pour deux.
Nous voilà repartis! Après un passage relativement délicat sur la gauche, en sortant par la fenêtre "Window", (photo en dessous), je me souviens que David Belden, en 1979, écrivait dans un article paru dans la revue "Alpinisme et Randonnée", que le couloir Window devait son nom à un étroit boyau, qui du fond de la grotte donnait accès directement à la pente sommitale. J'amorce une traversée ascendante vers ma gauche, pose une broche dans laquelle je n'accorde aucune confiance et remonte sur une courte longueur. Le spectacle est vraiment impressionnant et à la hauteur de belles sensations. Je me dis que ce n'est vraiment pas le moment de faire un mauvais pas. Je suis au-dessus d'énormes stalactites qui pendent dans le vide. Je ne vois plus le Diamond couloir, mais seulement la base du DARWIN glacier, cinq cents mètres plus bas. Je ne passerai que peu de temps à admirer ce spectacle et continu à progresser à pas feutrés, sur une glace creuse et peu sûre (n'oubliant pas Georges et Marc, en dessous). Je reste suffisamment précis pour ne pas déraper maladroitement et faire le "vol" de ma vie. Je débouche sur l'entonnoir sommital et continue encore à progresser sur environ vingt mètres, dans une neige croûtée. J'arrive en bout de corde, il n'y a vraiment rien pour installer mon relais. Je n'ai pas d'autre choix que de le faire sur un corps mort, en utilisant un de mes piolets. Je creuse cette neige et espère qu'elle sera suffisamment compact et dense pour jouer son rôle de "mortier", comme si je voulais que mon piolet ne fasse plus qu'un avec le glacier Diamond.
Je passe une sangle sur le manche du piolet et l'enfonce le plus profond possible, tout en bourrant la neige extraite tout à l'heure. Je n'ai plus qu'à crocheter un mousqueton et à y vacher ma corde sur un cabestan. Après trois secousses sur mon encordement, comme si j'avais besoin de cela pour me rassurer, je pense qu'il devrait tenir.
En regardant sur ma droite, j'aperçois une plaque de glace qui émerge de la couche de neige et décide d'en profiter pour renforcer mon relais en plaçant une broche tubulaire. Ce relais précaire terminé, je donne trois à-coups sur la corde qui me relie à Claude, lui signifiant qu'il peut venir me rejoindre et je prie pour qu'il ne fasse pas un mauvais pas, ce qui ne manquerait pas de nous mettre, tous les deux dans une situation plus que délicate. Claude est maintenant à mes cotés et peut se rendre compte du coté très précaire de notre relais. Sans tarder, me voilà parti sur une longueur qui me permet de rejoindre le rocher sur la droite en effectuant une traversée que je ne peux protéger comme il se doit. Quelques instants plus tard, je saisi à pleine main ce rocher et m'empresse d'y enfoncer un "piton cornière" dans la première fissure qui se présente. Je regarde Claude et à voir le petit signe qu'il m'adresse, j'en conclus qu'à cet instant, la tension due à ces deux longueurs délicates sur le haut du HEAD WALL, retombe.
En trois longueurs, cherchant au maximum à longer sur ma droite le rocher, nous remontons le glacier suspendu du Diamond, dans une neige croûtée. Maintenant, je débouche sur un petit ressaut en glace vive , dernière difficulté avant de déboucher sur la porte des mystère "The GAT OF MISTS", lieu insolite, souvent dans les nuages. Cette brèche entre le Batian et le Nelion est souvent l'objet de toutes les interrogations, mais aujourd'hui, elle nous offre un spectacle unique et hors du commun. La vue sur le versant Nord, de l'autre coté, est vertigineuse. Après une courte traversée descendante, en face Nord, sur une glace délicate, j'entame la première longueur sur un rocher médiocre. Trois petites longueurs sur cette arête et nous débouchons sur le sommet du NELION. Nous sommes à 5188 mètres, il est 15h20.
Voilà maintenant 8H00 que nous sommes dans un état d'esprit pendant lequel, à aucun moment, nous n'avons relâché notre attention : le moindre geste était calculé et réfléchi. A ce moment, la pression que je me suis imposée depuis le début de cette escalade, retombe et disparait totalement. Je suis dans un état d'esprit qu'il m'est difficile d'expliquer, je suis heureux, simplement... Je ne peux vraiment pas expliquer ce que je ressens, je suis sur mon petit nuage. Claude me rejoint, et c'est les congratulations!
N'ayant pas d'eau pour boire, paradoxe du moment, alors que nous avons grimpé toute la journée sur la glace et sur la neige, ici, autour de nous, pas la moindre petite trace d'eau douce. Il n'y a que de la "caillasse", lamentablement sèche! En me dirigeant vers le Sud, j'aperçois derrière un rocher, dans un recoin, un petit peu de neige, qui n'avait pas fondue, certainement protégé des rayons de soleil. En m'approchant, qu'elle ne fut pas ma surprise, quand arrivé près du précieux butin, un alpiniste certainement moins désoeuvré que moi, avait sans état d'âme, déposé un besoin urgent au pied de ce qui aurait pu nous désaltérer...
17h25, ,Georges et Marc ne sont toujours pas arrivés au sommet.
18h20, Georges débouche au sommet et paraît très heureux, mais fatigué. Marc n'est pas très loin (en bout de corde), dès sont arrivée, il nous fait part de ses impressions et nous décrit avec beaucoup de détails et de réalisme, ainsi que d'exaltation, leur passage dans le HEAD WALL. Ils ont essayé de passer tout droit, sur la gauche, dans la cascade de stalactites. Devant les mauvaises conditions de glace et après plusieurs tentatives, ils sont passés sur la droite en escaladant un ressaut rocheux en mixte "délicat" selon ses dires, et ont rejoint le passage emprunté par Claude et moi.
Maintenant la nuit tombe et à la lueur de nos frontales, nous partageons nos impressions de la journée, en mangeant les quelques morceaux d'en-cas, restés au fond de nos sac. Après avoir admiré le couché de soleil sur la pointe LENANA et sur le glacier LEWIS, situé 600 mètres plus bas, nous nous glissons, un par un, à l'intérieur de notre "boîte à sardine". N'ayant que ma doudoune pour seul duvet, je décide de vider mon sac, de son contenu et en relevant sa jupe, je m'en sers comme pied d’éléphant. Me voici dans un confort "relatif", mais qui devrait me permettre de passer la nuit sans trop de problème.
Le Diamond et le Window couloir, photographiés en Février 1993 (dix années après nos ascensions), en montant à la pointe Lenana. On peut remarquer que déjà, la "modification climatique" du moment fait inexorablement son oeuvre... Les deux premières longueurs du Diamond ont disparu.
Sur la photo, au centre l'Ice Diamond, à sa droite le ruban de glace, l'Ice Window, venant tous les deux se rejoindre sur le Head Wall, puis le Diamond Glacier et enfin entre le Nelion 5188m, à droite et le Batian 5199m, à gauche The Gate of Mists, la porte des mystères, appelée aussi la "porte des brumes" .
La descente!
La nuit a été très courte. La faim, la fatigue et le froid ont été de la partie. Le soleil se lève sur le LEWIS glacier et lui donne de magnifiques teintes orangées. Le ventre creux, nous rassemblons nos affaires et matériels, et décidons sans tarder de quitter ce lieu exeptionnel.
En descendant chacun à notre tour vers le premier rappel posé par Marc, dans la voie Mackinder, il est 7h15, la météo est stable. Nous raccordons nos deux cordes de 10,5mm à l'aide d'un double noeud de pêcheur. En effet, nous avons chacun fait les couloirs avec une corde à simple de 10,5mm et une de 7mm, ceci dans le but d'être léger (Il s'avèrera que ce n'était pas forcément une bonne idée?). Le premier anneau de sangle posé en renfort des anneaux en place, fragilisés par le temps, nous mettons nos cordes rassemblées dessus. Nous arrivons rapidement en plusieurs rappels, au niveau de l'amphitéatre.
Marc met en place deux pitons, les relie par une sangle en prenant soin d' en répartir la charge. Viennent ensuite, une succession de rappels plus aériens. Depuis environ une heure, le temps s'est mis à changer. La neige est de la parti. Le rocher commence à être plâtré, ce qui ne devrait apparemment pas arranger la recherche de notre itinéraire de descente. Un autre invité est maintenant de la partie, le brouillard! Nous sommes vraiment seuls sur cette montagne austère, mais ô combien désirée. Maintenant c'est à mon tour de descendre.
J'installe mon descendeur sur les deux brins de la corde gelée et devant leurs rigidités, je prends la décision de ne pas mettre de protection dessus. Cela me fera gagner un temps précieux lors de ma descente. Arrivé à la hauteur de mes compagnons de cordée, je commence à tirer la corde sur laquelle j'avais pris la précaution de placer le noeud les reliant, en aval de mon anneau de sangle. Surprise désagréable, la corde glisse sur environ deux à trois mètres, et se bloque... Malgré tous nos efforts réunis, elle ne veut vraiment pas venir.
Il me faut prendre une décision! Je décide donc, de remonter la longueur jusqu'au "nœud du problème" , en m’auto-assurant sur un nœud de Mâchard, posé sur les deux brins gelées, que je ferais glisser au fur et à mesure de ma progression. J'évalue la difficulté de l'escalade que je vais devoir réaliser, et d'un bref coup d’œil sur ce que je viens de descendre, me voilà parti.
En escaladant les trois ou quatre premiers passages, il me vient à l'esprit de me remémorer des souvenirs "pas très joyeux", de mon accident en falaise deux années plus tôt, dans l'ANGLIN sur le site de la DUBE. En grimpant auto-assuré sur le même système sur une voie (la directissime au petit Cervin), mon Mâchard à brulé et rompu... Bilan 12 mètres de chute et deux mois d'hôpital. Les souvenirs s'emmêlent dans ma tête et après avoir calmé mes esprits, quelques instants plus tard, me voici à la hauteur du problème.
En effet le noeud s'est bloqué dans une fissure que je ne pouvais pas prévoir lors de mon départ sur le rappel. Arrivé de nouveau au niveau de mes compagnons, nous ne sommes pas trop de quatre pour tirer le rappel, complètement gelé et gorgé d'eau. J'ai l'impression de tirer sur un bout de bois...
Notre descente se poursuit en utilisant tout un système de vires, pour rejoindre la base du gendarme MACKINDER. Sur deux pitons "plus que foireux", posés tête en bas, par Marc, vient ensuite un rappel aérien, puis vient une succession de rappels sur des sangles déjà en place. D'après le "topo" que nous avons en notre possession, à cet endroit, il ya plusieurs variantes de descente, en témoignent les nombreux anneaux de sangle en place abandonnés par des alpinistes utilisant cette face pour descendre. Nous commençons à fatiguer et nous n'avons pas toujours l'esprit en éveil! Après une divergence de vue pour choisir l'itinéraire de descente, nous optons pour la solution proposée par MARC, selon lui, il ne resterait plus beaucoup de rappels à effectuer pour mettre enfin les pieds sur la moraine du LEWIS glacier.
Marc avait raison, bien que fatigué, dans cet instant, il était plus lucide que nous trois... Il me confiera plus tard, qu'il avait vu, lors du "déchirement" des nuages nous recouvrant, dans un instant de lucidité, que la moraine n'était seulement qu'à environ trois ou quatre rappels. C'était bien vu, car trois rappels plus tard, nous posions tous les quatre les pieds sur le plancher des DAMANS. Il était 16h55.
ANECDOTE: A notre retour au lodge de NARO MORU et en remplissant le livre de courses du lodge, nous avons eu la surprise et la fierté de rencontrer l'Alpiniste, ô combien connu, Monsieur Claude DUFOURMENTEL, ayant participé à la triste, mais célèbre tragédie du sauvetage de VINCENDON et HENRY, sur le massif du Mont-BLANC, dans l'hiver 1956.
Il est à Nairobi et travaille comme Ingénieur dans l'industrie pétrolière. Le 18 décembre 1956, il avait réussit avec son compagnon Xavier CASENEUVE, l'éperon de la BRENVA, sur le Mont-BLANC, une hivernale, quelques jours avant la tentative de Vincendon et Henry. Cette tragédie bouleversera l'opinion publique et toute la communauté des alpinistes de l'époque. Elle sera à l'origine de la réorganisation des secours en montagne.
Ayant l'envie d'aller au pied du Mont-KENYA et n'ayant pas amené de matériels techniques avec lui, nous lui laisserons avec grand plaisir, une partie du notre. Le hasard de cette belle rencontre restera gravé dans nos mémoires.
EPILOGUE!
Cette Aventure a été pour moi, une formidable expérience humaine, riche en émotions.
Elle a été l'occasion de partager avec mes compagnons de cordée, des instants privilégiés, difficiles, de "souffrances parfois", mais aussi, de joie et surtout, envers et contre tout, merveilleux.
Articles de presse sur cette expédition et le troisième festival du film de montagne de Chaudes-Aigues.
Crédit photos; Marc BURGER, Claude GILLONIER & Christian BARBIER